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L'Afrique mutilée

L'Afrique mutilée

Nathalie M'DELA-MOUNIER, AMINATA D. TRAORE (Co-auteur)

En écho au travail réalisé par le Centre Amadou Hampâté BA (CAHBA), à Bamako, les éditions Taama présentent L’Afrique mutilée. Ce texte poético-politique, co-écrit par les deux auteures, porte un regard féminin acéré sur les politiques néolibérales mutilantes. Divisé en quatre parties, il s’interroge sur l’excision économique silencieuse et mortelle, le caractère civilisationnel de l’éducation, les dessous d’une démocratie de façade qui vient de s’écrouler, avant de mettre en évidence un besoin d’éthique en politique qui pourrait s’enraciner dans des valeurs africaines plutôt féminines. Amplifiant les voix trop souvent inaudibles des femmes, il propose un horizon pour l’avenir. Et ceci malgré les heures difficiles que connait le Mali, cas d’école plus que paradigme perdu.

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Éditeur : Editions TAAMA Langue : français
Genre : Littérature Sortie : 13 septembre 2012
Sous-genre : Roman politique

Disponible chez :

Biographie

Nathalie M'DELA-MOUNIER

Écrivain-voyageur, Nathalie M’Dela-Mounier est aussi enseignante documentaliste en Bretagne, où elle a une partie de ses racines. Métisse, elle aime explorer les contours flous de l’identité et ceux des mémoires individuelles ou collectives. En observatrice attentive d’un monde dont elle se veut aussi actrice, elle croit à l’importance de la transmission et du partage des cultures, aux mots qui content, chantent et agitent les consciences. Depuis 2007, elle travaille avec Aminata Traoré (ex-ministre de la Culture du Mali et essayiste) dans le cadre du Foram (Forum pour un autre Mali) et du Centre Amadou Hampaté Bâ, à Bamako, notamment autour de la question des migrations. Ensemble, elles sont les marraines du festival Paroles Indigo, à Arles, qui propose « d’autres manières de dire le monde ».

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L'Afrique mutilée : Maaya la conscience des femmes

Alors que, sur l'exigence des autorités maliennes, la Communauté des États d'Afrique de l'Ouest vient seulement d'accepter, le dimanche 23 septembre 2012, le refus du déploiement de troupes combattantes étrangères à Bamako, l'entretien que nous a accordé Aminata Dramane Traoré, de passage à Paris le 18 septembre dernier, acquiert une dimension supplémentaire.
Notre entretien portait sur L'Afrique mutilée, le dernier ouvrage de cette grande voix de l'altermondialisme africain, coécrit avec Nathalie M'Dela-Mounier. Cet essai est né de la rencontre entre deux écrivaines animées par un objectif commun : servir de porte-voix à une société civile malienne dont les femmes sont les grandes oubliées.

Publié au Mali par les éditions Tamaa et diffusé en France par l'association L'Oiseau Indigo (1[1]), L'Afrique mutilée constitue un de ces textes clef dont la portée est immense : il y a non seulement deux voix - malienne et française - qui s'en élèvent, mais il y également toutes les autres, ces voix si souvent confinées à un écho ténu, alimenté par des préconçus misérabilistes, bâtis sur l'image simpliste des "femmes victimes". "Nous sommes toutes les femmes, nous ne venons pas de nulle part et n'allons pas n'importe où", écrivent les auteures… Un des enjeux de cet ouvrage est clairement de faire entendre au lecteur qu'il y a d'une part les représentations - ce que l'on en fait - et d'autre part la réalité, dans toute sa complexité.

L'accès au dialogue citoyen n'est apparemment pas le même pour tous et surtout pour toutes. Le Mali est actuellement amputé des deux-tiers de son territoire. Paradoxalement, la possibilité d'un véritable dialogue démocratique et de possibles solutions civiles à la crise sont aujourd'hui étouffées par des plans d'ajustement structurel, imposés au nom d'un bien étrange "développement".

L'Afrique mutilée n'est pas un ouvrage larmoyant ; il s'agit d'un texte humaniste et engagé, une œuvre de combat qui s'attaque à des images préconçues du Mali et de l'Afrique. Aminata Dramane Traoré et Nathalie M'Dela-Mounier en appellent, en chœur, à la construction d'un nouvel espace de dialogue et de compréhension, reposant avant tout sur le Maaw Folo, que l'on pourrait traduire par "Les gens d'abord" !

Madame Traoré, pour commencer notre entretien j'aurais aimé que vous me parliez du cheminement qui vous a mené à rencontrer Nathalie M'Dela-Mounier et à la publication de L'Afrique mutilée. Le projet s'inscrit en effet dans une démarche globale et à partir du travail mené autour du centre Ahmadou Hampâté Bâ. Quelques points : en 2004, vous organisez le forum sur la citoyenneté civile sur le coton, en 2007 vous rencontrez Nathalie M'Dela-Mounier à Rennes, en 2009 vous organisez le projet "Maaya, femmes en chœur" à Bamako…

Disons que pour le moment, je reste encore sur ma faim, d'une manière générale, quant à l'approche de l'Afrique à l'heure de la mondialisation. Depuis des années, je m'efforce de démontrer qu'il n'y a pas de destin individuel et d'autonomie d'action possible pour des pays comme les nôtres, compte tenu du mode d'enchevêtrement des réalités, et surtout de notre dépendance. Nous dépendons, que ce soit sur le plan théorique, intellectuel, financier, de l'ancienne puissance coloniale et d'autres vieux pays industrialisés, qui ne reculent que pour mieux sauter. Ce constat, tout le monde peut le faire aujourd'hui. Il est évident que nous sommes tellement pressés d'être admis dans le cercle des "développés", des "mondialisés", que nous nous refusons de voir les difficultés et les pièges inhérents à ce modèle.

Je m'en explique dans L'Étau, mon premier ouvrage (2[1][1]), dans lequel j'émets des réserves dès la décennie 1980 concernant les thèses dominantes sur la démocratie malienne. J'y écris que, de mon point de vue, il n'y a pas de démocratie sans souveraineté économique, politique ou monétaire. La manière dont nous sommes entrés dans la mondialisation marchande ne nous permet pas de défendre nos intérêts.

Il est donc difficile de se faire entendre par les pseudo-démocrates qui croyaient que des élections suffisaient à faire une démocratie, et qui le croient toujours, du reste. Je me suis attelée, secteur par secteur à la démonstration de mes hypothèses de travail en commençant par le coton, qui illustre parfaitement la situation, à partir de sa transformation, des textiles… pour illustrer le fait que, producteurs d'une matière première de qualité, nous en importons 90 % et ne transformons qu'une infime partie. De surcroît, les dominants subventionnent leurs propres cotonculteurs. L'État tire ses recettes de cette matière et n'a pas les moyens de sa politique. Et si vous ajoutez la production à tout cela, l'appauvrissement est évident. Ce constat est loisible à tout le monde - le mot est faible - d'autant plus que, en privé, beaucoup de Maliens me le concèdent, de la même manière que, quand j'étais ministre, ces derniers me disaient : "on est dans l'étau". Mais seulement et contrairement à la période des luttes de libération nationale, aujourd'hui, on n'enregistre nulle part une volonté politique de résister et d'agir autrement. Et je le comprends. D'autant plus que tous ceux qui ont essayé, en commençant par Lumumba et en passant par d'autres dirigeants patriotes proches de leur peuple, l'ont payé cher. Il y a donc ce matraquage, le chantage au financement, le sabotage des efforts qui nous ont mis aujourd'hui dans une situation d'humiliation. C'est pour cela… Après L'Étau j'ai donc fait ce constat, et je suis passée par Le Viol de l'imaginaire (3[1]) pour illustrer le fait que la violence symbolique commence par le viol de l'imaginaire, pour vous laisser entendre qu'en fait, en dépit de ce que vous savez de vous, de ce que vous pensez de vous-même, vous n'êtes en fait rien tant que vous ne faites pas comme on vous demande de le faire.

Or, en faisant comme on vous demande de le faire, vous vous enfoncez… Et puis, quand il y a eu la crise ivoirienne, j'ai pensé que le Côte d'Ivoire était un des lieux, en tant que vitrine africaine de ce système, et surtout du capitalisme français, qui était le lieu d'illustration par excellence de cette forme de violence qui ne dit pas son nom, mais qui pousse les gens à s'entre-tuer, toujours au nom de la démocratie.

Après cet ouvrage j'ai écrit L'Afrique humiliée (4[1]), parce qu'on était passé un cran au-dessus et puisque, au niveau local, le chômage endémique (notamment celui des jeunes) et la pauvreté extrême poussaient, à partir de la décennie 1980, des milliers de jeunes à partir sans visa, d'autant plus qu'ici en amont, le durcissement des politiques migratoires les obligeait à se comporter ainsi. J'ai donc écrit L'Afrique humiliée, dans un contexte où Sarkozy, en tant que père de l'immigration choisie, a cru devoir prononcer le Discours de Dakar. Maintenant, dans tout cela, je n'insistais pas suffisamment sur le prix payé par les femmes. Démographiquement, bien sûr, elles sont la composante la plus importante, mais politiquement, elles sont celles que l'on manipule le plus, lettrées comme illettrées, à partir du moment où nous avons des médias qui ont l'art de cacher l'essentiel et de faire l'éloge des chefs du moment. Et je trouve irrespectueux, à l'endroit des femmes, de les pousser à aller voter ou à entrer en politique alors qu'elles ne sont pas outillées pour poser les bonnes questions aux élus, au niveau local, au niveau décentralisé comme au niveau central. J'ai donc jeté une passerelle entre les questions de production, dont le coton, le tissage, les textiles et la situation des femmes. C'est pour cela que nous avons organisé cette première manifestation à l'époque "La fibre africaine" dans le double sens du mot "fibre" en tant que matière, mais aussi "fibre" en tant que volonté politique de s'en sortir. Mais après ? Parce que tout cela c'est bien beau, mais une fois que vous procédez aux remises en question, et puisqu'entre-temps il y avait eu Porto-Alegre et le lancement du Mouvement social (5[1]), j'ai été sollicitée et engagée sur ce terrain. On a créé le Forum social africain dont l'une des émanations est le Forum pour un autre Mali (FORAM) que j'anime autour du Centre Ahmadou Hampâté Bâ (CAHBA) ([1]6). Nous avons alors touché à différentes questions comme je vous l'ai dit : les diplômés sans emploi, les immigrés, les artistes et les intellectuels et nous sommes interrogés sur ce que l'on fait pour eux. Ensuite, nous nous sommes posé des questions sur cet état des lieux : puisque je m'étais dit qu'il fallait que je vive les thèses développées et que je m'assume, c'est ainsi qu'avec ma famille nous avons créé différents établissements à vocation culturelle, une sorte de maisons d'hôtes et de restaurant, tout en matériaux locaux. On y mange dans des poteries, au milieu de textiles et de tentures, tout est fait main. L'objectif était de montrer que des alternatives économiques et créatrices d'emplois sont possibles localement. Et là, on touche vraiment, encore une fois, les femmes. J'ai considéré qu'une des formes de trahison consiste à les enfermer dans des problématiques ; des problématiques qui sont bien réelles : la question de l'excision, de la polygamie, des difficultés liées au rôle domestique… mais ce sont des réalités qui ne sont spécifiques à aucun pays. En politique, où l'on ne voit que la partie visible de l'iceberg, ce qui me paraissait important c'est cette tendance à ne voir que la responsabilité des acteurs locaux, en cachant celle des acteurs globaux. J'ai réalisé que dans le dossier Femme c'était pareil : on ne voit que ce que l'on a envie de montrer, de nature à ternir constamment l'image des femmes, à faire d'elles des femmes enceintes, mutilées, dominées, passives et qu'il faut sauver.

Pourquoi le système parle-t-il aujourd'hui de la responsabilité de sauver les populations civiles ? Ils ont cru à une responsabilité de sauver les femmes africaines. De quoi ? De leur société. De leur culture… Mais ça n'a jamais marché.

En vérité, ce sont elles qui colmatent les brèches quand on met en œuvre les réformes néolibérales. L'idée était donc de centrer davantage le dialogue sur les femmes s'est imposée à moi et, chemin faisant, je me suis dit qu'il n'y a aucune raison qu'elles ne puissent pas comprendre. Si nous nous adressons à elles en langues nationales, une fois qu'elles comprennent les tenants et les aboutissants elles décident pour elles-mêmes.

C'est ce qui s'est passé, c'est ce que nous avons fait, et j'ai rencontré Nathalie M'Dela-Mounier lors d'une réunion à Rennes en 2007, j'ai alors lu son livre et je l'ai invitée à Bamako. Elle est venue dans ce contexte où je mettais en place le programme "Femmes Maaya et citoyenneté". Le réseau "Femmes Maaya et citoyenneté" (maaya pouvant être traduit par "humanisme") soutient que, en parlant aux gens dans leur langue, en faisant référence à des valeurs qui leur sont familières, on leur donne alors les moyens de décider, de juger et de contrôler. Ce processus a pris beaucoup de temps, mais c'était absolument fascinant, d'autant plus que les femmes avaient confiance en moi après le projet de pavage du quartier. Lorsque j'ai publié L'Étau, j'ai donné différentes conférences dans des universités, qui m'ont amené jusqu'à l'université du Luxembourg. À l'époque, des autorités internationales commençaient à s'intéresser au Mali et à chercher à travailler avec les Maliens. Ils ont donc été intéressés par mon approche et ont financé ce projet de pavage, qui constitue une initiative assez unique en Afrique de l'Ouest : avec les femmes et les jeunes on a pavé des dizaines de milliers de rues, récuré les caniveaux, planté des arbres… on a transformé des dépôts d'ordures en jardins, on a créé un centre de tissage, on a réhabilité un marché, etc. Cette initiative est très connue au Mali et il a donc suffi que je dise aux femmes qu'il fallait qu'on s'organise pour qu'elles viennent. Aussi bien celles qui n'étaient pas dans le quartier que celles qui y vivent savaient que quelque chose changeait. Je voulais que le changement de leur cadre de vie aille de pair avec la naissance d'une vision nouvelle du Mali et de tout ce qui est possible.
 

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